Quand les préjugés racistes abiment la santé


Par : Vik
Il y a 20 jours
Lorsqu’en novembre 2021 Chidiebere Ibe publie sur Twitter son illustration d’un fœtus noir dans le corps de sa mère, l’étudiant en médecine ne se doute pas que son image deviendra virale. Elle sera pourtant partagée plus de 2500 fois, suscitant au passage de nombreux commentaires enthousiastes. « Merci, écrit ainsi Omon Imohi. La plupart d’entre nous n’ont jamais vu un foetus noir illustré auparavant. »
Depuis, Chidiebere Ibe multiplie les illustrations, impétigo, trisomie 21, eczéma, sur son compte Instagram, cherchant à pallier le manque de représentation des peaux noires en médecine, qui met parfois des vies en danger.
En effet, cette invisibilisation peut avoir des répercussions sur la fiabilité des diagnostics et la prise en charge du patient. Des études américaines, qui ont calculé le taux de survie après cinq ans des personnes atteintes d’un cancer de la peau, révèlent que 94 % des personnes blanches ont survécu, contre 70 % des personnes noires.
L’intellectuelle américaine Ruth Gilmore définit d’ailleurs le racisme comme l’exposition de certaines populations à une mort prématurée.
« En tant que personne noire, pour le même diagnostic, on ne va pas avoir la même espérance de vie, » estime aussi la psychologue Guilaine Kinouani qui travaille sur l’impact du racisme sur la santé physique et mentale des personnes noires et racisées et appelle aujourd’hui à une prise de conscience.
Un constat partagé par Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, qui consacre au racisme dans la santé un numéro spécial, publié le 10 décembre à l’occasion de la Journée des droits de l’Homme, et appelle à mieux prendre en compte ce phénomène pour y remédier :
« Le racisme est un problème de santé. La haine est un problème de santé. La xénophobie est un problème de santé. Nos sociétés structurellement racistes sont dangereuses pour trop de communautés, de familles et d’individus »
Un grand nombre d'études américaines traite ainsi des conséquences du racisme sur la santé physique et mentale des personnes : maladies cardio-vasculaires, ulcères, anxiété, dépression, hypertension, etc.
Un peu d’histoire
La médecine occidentale s'est construite en parallèle d'un discours sur les inégalités raciales, utilisé pour justifier l’esclavage, explique la chercheuse Delphine Peiretti Courtis.
Les préjugés racistes et notamment celui de l’animalité des hommes et des femmes noirs apparaissent durant la période des Lumières, chez Carl von Linné par exemple, pour qui le singe rejoint l’homme dans la grande chaîne du vivant.
L’animalisation des hommes et des femmes d’Afrique a permis de justifier l’esclavage, puis la colonisation et le travail forcé. Ce préjugé de la robustesse, de la résistance, de l’invulnérabilité des populations africaines est très courant et va se voir transformé au cours du 19e siècle en un savoir scientifique. Les médecins, les anthropologues cherchent alors dans les corps la marque de cette robustesse, explique l’historienne.
Des médecins de la Marine, qui partent sur le terrain, comme le docteur Thaly en 1866, cherchent à vérifier cette prétendue insensibilité à la douleur. « Cette robustesse proviendrait selon eux d’une infériorité intellectuelle qui affaiblirait la réactivité du système nerveux, annihilant ainsi toute sensation de douleur. Les pratiques des médecins peuvent ainsi s’en trouver modifiées : certaines sources mentionnent des opérations chirurgicales réalisées sur des hommes ou des femmes noir.e.s sans l’aide d’anesthésiants, soit en raison d’une pénurie, soit parce que l’anesthésie était jugée inutile » écrit ainsi Delphine Peiretti Courtis.
La Vénus Hottentote
Achetée en Afrique du Sud, Saartje Baartman, surnommée la « Vénus hottentote » a fasciné pendant des siècles à cause de son physique atypique. Véritable objet d’études scientifiques, elle est disséquée après sa mort par Georges Cuvier, le célèbre anatomiste et paléontologue qui, dans un rapport publié en 1817, établi une ressemblance ferme et immuable selon lui entre Saartje Baartman et l’orang outang. Il constate cependant qu’elle n’a pas d’organe supplémentaire et en conclut qu’elle appartient donc à la même humanité que la race blanche, mais il la classe tout en bas de l’échelle humaine, à peine au-dessus du chimpanzé et de l'orang outan.
Si la notion de race est invalidée par la médecine au cours du XXe siècle, par les scientifiques eux-mêmes, les préjugés raciaux n’ont pas disparu. Les stéréotypes ont imprégné les mentalités.
Les préjugés ont la dent dure
La sociologue Priscille Sauvegrain constate ainsi que l’idée que les femmes africaines accouchent mieux que les autres demeure très partagée, alors qu’elles ont dans les faits plus de césariennes que la moyenne. Avec ce stéréotype positif selon laquelle les femmes africaines savent mieux pousser, sont plus autonomes, le soignant s’autorise en effet à pousser les limites de la prise en charge, sur une situation à risque.
La sociologue a aussi étudié le « terme ethnique », une pratique médicale basée sur l’idée, elle aussi dénuée de fondement scientifique, selon laquelle les femmes africaines accouchent plus tôt que les autres. Une étude anglaise montre que l’explication serait davantage sociale que biologique : « Les femmes nées dans certains pays du Commonwealth auraient des fins de grossesses plus à risque et finalement des durées de grossesse plus courtes parce qu'elles sont dans des situations sociales beaucoup plus défavorables et que ce stress social avec aussi les hormones du stress qui y sont émises, favoriserait un déclenchement plus précoce du travail. »
Le syndrome méditerranéen
Parmi les préjugés racistes qui traversent une partie du corps médical et qui entraînent de sérieuses défaillances dans les prises en charge figure le « syndrome méditerranéen ». Ce syndrome trouve sa source dans l’histoire coloniale française. Le psychiatre Frantz Fanon le décrit ainsi en 1952 : « le syndrome nord-africain est une catégorisation des professionnels de santé sous-tendue par des stéréotypes racistes qui faisait du Nord-Africain […] un simulateur, un menteur, un tire-au-flanc, un fainéant, un feignant, un voleur ». Quant au sociologue et anthropologue David Le Breton, il désigne ce syndrome comme le « fantasme selon lequel les personnes originaires du pourtour méditerranéen seraient moins résistantes à la douleur ».
Autrement dit, les personnes noires et arabes auraient tendance à théâtraliser et à exagérer leur douleur. Le décès en décembre 2017 de Naomi Musenga, une femme d’origine congolaise, est un exemple du danger du syndrome méditerranéen. Son appel aux urgences pour d'importantes douleurs abdominales avait été relativisé par le SAMU, entraînant sa mort 5 heures plus tard.
Plusieurs études aux Etats-Unis montrent qu’à diagnostic égal, les patients noirs reçoivent moins d’antidouleurs que les patients blancs, mais aussi des doses moins élevées. « ll n’existe pourtant aucun moyen scientifique de mesurer la douleur du patient, explique Miguel Shema étudiant en médecine et militant, dans un podcast de France Culture. C’est à partir de ce que dit le patient qu’on peut être à même de prendre en charge sa douleur. Toute remise en question de la douleur repose sur la vision que le soignant a du soigné. »
Le compte Instagram « syndrome méditerranéen » recense de nombreux cas.
Etat de la recherche en France
En France, contrairement aux pays anglo-saxons qui autorisent les statistiques ethniques, la recherche sur le sujet n'en est qu'à ses balbutiements, très peu de données scientifiques sur les liens entre le racisme et la santé existent. Pourtant, malgré les défis universalistes auxquels se heurte la recherche, une relation entre l’origine ethnique et/ou pays de naissance a été démontrée avec les disparités dans le dépistage du cancer du col de l’utérus, la prévalence de la césarienne, la mortalité maternelle, et la mortalité liée au COVID-19. Les travaux d’Azria (2020) et ceux de Sauvegrain (2013) démontrent que les personnes issues de l’Afrique subsaharienne ainsi que leurs descendances sont les plus touchées par les inégalités de santé en France.
Pour plus d'informations pour mieux vivre en tant que patient, télécharge le Vik correspondant à ta maladie :
Si tu vis avec un cancer :
https://www.landing.wefight.co/vik-cancer
Si tu vis avec une maladie chronique :
https://www.landing.wefight.co/vik-maladie-chronique
Sources
Skin Cancer Facts & Statistics
The Lancet, 10 December 2022, Volume 400, Issue 10368, Pages 2007-2154, e13
Épisode 4/4 : Ce que fait le racisme à la santé
Racisme et disparités de santé | Cairn.info
Les polémiques racistes abîment la santé mentale de nombreux Français | Slate.fr
Paroles de Maghrébins en France (@Paroles_Magh_Fr) / Twitter
L’impact du racisme sur la santé des personnes noires et racisées | Le SPEECH de Guilaine Kinouani
Les préjugés des médecins blancs peuvent jouer sur les soins procurés aux noirs | Slate.fr
https://www.instagram.com/ebereillustrate/?hl=fr
Déclaration de Berlin de l’AMM sur le racisme dans la médecine – WMA – The World Medical Association
3 exemples de pratiques racistes en médecine | Brut.
Le racisme par la médecine à l'époque coloniale - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées
Représentation des corps, préjugés, soins... Comment la médecine a alimenté le racisme - neonmag.fr
« Syndrome méditerranéen » ou le racisme ordinaire à l’hôpital - regards.fr
Tous les articles
Les associations de patients : Informations, accompagnement et partage.

Lorsque nous sommes confrontés à la maladie, nous pouvons ressentir de la solitude et avoir besoin d'un soutien émotionnel et pratique. Les associations de patients sont là pour nous guider, nous informer et nous accompagner dans cette période. Mais, qu'est-ce qu'une association de patients exactement ? Pourquoi est-il utile d'en faire partie ? Comment trouver celle qui correspond le mieux à notre situation ?
Méditation : L'effet Pygmalion

L'effet Pygmalion, nous donne le pouvoir de renforcer les comportements positifs chez nous-mêmes comme chez les autres. Découvre dans cette méditation de Giacomo Di Falco, psychologue, comment appréhender ce phénomène !
Cancer : mais que se passe-t-il dans mon corps ?

Vous venez d'apprendre que vous ou un être cher êtes atteints de cancer et vous voulez en savoir plus. Vous souhaitez comprendre ce qu'est le cancer et ce qui peut le provoquer. Ne cherchez plus, cet article vous explique de manière claire et facile à comprendre ce qu'est le cancer, ainsi que les facteurs de risque possibles de cette maladie.
Te rendre heureux est un devoir !

"Tu es toujours aux commandes de ta vie, de tes décisions et non des événements. Cela signifie que c'est toi qui en es responsable et que tu peux cesser à tout moment de te victimiser." Dans cet article, Giacomo Di Falco t'explique pourquoi te rendre heureux est un devoir !
Comment réussir à maintenir une activité physique adaptée avec la maladie ?

Je m’appelle Eléonore, et j’ai eu un cancer gynécologique qui m’a laissé des séquelles à une jambe, et la pratique d’une activité sportive régulière m’a beaucoup aidée. J’ai eu aussi la chance de devenir Patiente Experte et d’accompagner d’autres patients ; c’est pourquoi aujourd’hui je vais t’aider à choisir une activité physique adaptée à ta maladie.
Les 7 villes avec l’air le plus pur du monde !

On retrouve des particules fines un peu partout dans le monde, notamment dans les grandes villes. Heureusement, il existe des endroits magnifiques où il fait bon vivre. Voici mon top 7 des villes où l’air est le plus pur dans le monde.